La publication chez Marvel d’une nouvelle série Doctor Strange depuis 2015 est bien évidemment loin d’être fortuite, puisque le film éponyme sort cet automne dans les salles obscures. Très abouti en termes de délire visuel ainsi qu’au niveau de l’interprétation de Stephen Strange par Benedict Cumberbatch, le film campe des dialogues sarcastiques propres au personnage, tout comme un humour visuel faisant souvent mouche. Mais que penser des deux premiers arcs de la série publiée en papier ou numérique (épisodes 1 à 10) ?
Doc Strange ou le trip des sixties inavoué
Doctor Strange est créé au début des années 60 par Steve Ditko, également co-créateur de Spider-Man, à l’époque plus qu’en froid avec la Maison des Idées et surtout avec Stan Lee, dialoguiste du comic book. Ditko développe un personnage qui va complètement à l’encontre des canons du genre super-héros, puisque Stephen Strange EST son alter ego, maître des arts mystiques, et ne cache pas son identité. Ce sera surtout sur le plan graphique qu’il trouvera écho par pur hasard dans la génération des années 60, puisque celle-ci, en demande d’expériences psychédéliques de tous genres, adhèrera au surréalisme imprégnant chaque page de la bande-dessinée, donc au style Ditko. L’un des dessins de la saga sera d’ailleurs imprimé sur une partie d’un album de Pink Floyd. Après 20 années peu reluisantes pour la série, Jason Aaron et Chris Bachalo relancent le comic book avec un certain succès en 2015.
De la magie de papier
Dès les premières pages du premier numéro, le lecteur peut découvrir un style de dessin clair, tout en volumes (surtout en ce qui concerne les personnages). La mise en page, surtout, imprègne les rétines de par son originalité : un style nouille léger vient agrémenter l’ellipse des cases du récit, parfois de travers, mais toujours lisible. Le scénario traite d’ésotérisme, et chacune des pages transpire la magie, le surnaturel. Ces « nouilles » parcourent donc les planches, d’abord végétales, puis technologiques, dans la cohérence du récit. La magie, seulement visible des sorciers, est mise en couleur dans des cases en noir et blanc, ce qui surprend le lecteur et lui donne des repères visuels. Chris Bachalo parvient presque à renouer avec le psychédélisme des années 60 via une colorisation pourtant moderne. Son trait est précis et sans fioritures, et parvient au ressenti du lecteur sans se perdre dans trop de détails. On aurait presque pu apprécier plus de détails, justement, via un style un chouïa plus précis, sans grever à la lisibilité. Le rendu final reste de très bonne qualité malgré tout, et surtout, colle à un scénario saupoudré d’humour à la perfection.
Derniers jours de la magie
Une menace plane en effet sur la magie inhérente au plan terrestre. Les sorciers et magiciennes disparaissent les uns après les autres, aussi bien qu’objets ésotériques ou livres dédiés à la magie. On apprend au fil des pages que cette menace n’est autre qu’un empire technologique souhaitant éradiquer définitivement toute forme de surnaturel. Les lieux et situations propres au comic book d’origine sont systématiquement soumis au sarcasme des réparties du personnage principal. Les dialogues font mouche presque à chaque fois, notamment lors des affrontements entre Strange et l’Empirikum, et l’humour est omniprésent, même dans les séquences les plus sombres et tragiques. Jason Aaron parvient à happer le lecteur avec facilité, sans pour autant proposer le scénario du siècle.
Lecture réellement plaisante, ce renouveau papier de Doctor Strange par Jason Aaron et Chris Bachalo est à conseiller, que l’on adhère ou pas à l’univers du personnage, de par la qualité des dialogues, baignant dans l’humour, ou la qualité de la mise en page, pour le moins originale. Le comic book est un excellent complément à quiconque aura découvert un personnage tombé en désuétude ces 20 dernières années (en ce qui concerne sa série attitrée) grâce au film éponyme.