Parmi les nombreux projets dédiés au retrogaming ainsi qu’à la nostalgie des années 80 et 90, un ouvrage a retenu notre attention : Flashback’90, plus de 760 pages réparties sur deux tomes consacrés à l’année 90 au sens large. Nous avons pu interviewer deux de ses auteurs afin d’en savoir plus sur cette publication.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Manu : Moi c’est Manu, ça n’aura échappé à personne. J’ai longtemps été un simple joueur, dont l’enfance a été bercée par les consoles Nintendo comme la SNES ou la Game Boy, avant de passer chez Sega avec la Saturn. Puis, un jour, j’ai ressenti le besoin de partager ma passion avec les autres, ce qui m’a poussé en 2007 à créer le site web Oldies Rising. Actuellement, j’officie également sur la chaîne Youtube Green Hill Memories en compagnie d’autres passionnés, toujours dans un esprit de partage, et je participe à quelques projets pour le compte de Côté Gamers.
Tanuki : Moi c’est Patrice, alias Tanuki. Vieux compère de Manu, puisque j’ai 43 ans cette année. Je suis avec le petit jeunot depuis les presque tout débuts d’Oldies Rising. Actuellement, je dirige Côté Gamers.
Qu’est-ce qui vous a fait tomber dans la marmite du retrogaming ?
Manu : En ce qui me concerne, c’est un peu particulier. Pendant de longues années, j’ai suivi les évolutions technologiques comme tout le monde. A chaque nouvelle génération de consoles, je revendais mon ancien matériel avec tous les jeux que je possédais, pour récolter suffisamment d’argent afin d’acheter difficilement la nouvelle venue avec seulement une manette. Puis, dans les années 2000, la génération 128 bits est arrivée. Je me suis retrouvé avec une GameCube en premier lieu sur laquelle j’ai passé d’excellents moments, avant d’acheter une PlayStation 2. C’est avec cette dernière que ma sensibilité face au jeu vidéo a changé, et j’ai eu le sentiment de ne plus réellement me retrouver dans les nouvelles productions.
L’exemple le plus parlant, c’est Final Fantasy X. Je sortais du VII et du VIII que j’avais adorés sur PlayStation. Lorsque j’ai attaqué le X, j’ai été subjugué par les graphismes in-game qui étaient encore plus beaux que les cinématiques de ses prédécesseurs. Mais passée cette première impression, je me suis retrouvé face à un jeu au gameplay duquel je n’ai pas adhéré, avec des donjons qui m’ont profondément ennuyé, une absence de liberté puisqu’il n’y avait même pas de carte du monde, et surtout des personnages à mon sens tout sauf attachants. Ce sentiment, je l’ai éprouvé sur de nombreux jeux de cette génération, et c’est ce qui m’a poussé à revenir aux sources en me remettant sur les consoles qui, en leur temps, avaient su m’émerveiller.
Le second aspect, c’est que je me suis retrouvé juste après le Bac en IUT de gestion à Nantes, dans un cursus qui ne m’intéressait pas du tout. Juste à côté de l’établissement, il y avait un magasin du nom d’Eternal Games, qui restera à mon sens le plus grand nom du rétrogaming sur Nantes et sa région. Forcément, je passais plus de temps dans ledit magasin qu’en cours, ce qui a alimenté ma passion envers les jeux rétro.
Depuis, j’ai un peu fait la paix avec la current/next-gen et réappris à aimer les jeux récents. Mais ces derniers n’ont pas détrôné mon amour pour les œuvres vidéoludiques plus anciennes.
Tanuki : Joueur depuis que j’ai environ 6 ans, élevé aux bornes d’arcade dans les bistrots à l’époque, puis aux jeux LCD et à l’Atari 2600, j’ai ensuite suivi toutes les consoles mainstream (NES, Mega Drive, SNES, etc etc), pour finalement en arriver à m’intéresser à tout ce qui touchait le jeu vidéo : consoles exotiques comme la Marty, livres, produits dérivés comme les figurines, etc. Je n’ai donc jamais quitté le rétrogaming, je l’ai toujours pratiqué en parallèle du jeu contemporain. Quand je jouais avec ma Dreamcast, je branchais aussi ma Mega Drive. A mon sens, le rétrogaming ne peut être considéré comme rétrogaming que par ceux qui le découvrent. Dans mon cas, c’est juste ma pratique courante du jeu vidéo.
D’où est venue l’idée d’un tel ouvrage ?
Manu : Une longue histoire ! Ça remonte à 2011. A cette époque là, nous avions avec Patrice sorti la Castlevania Sancti Biblia, le tout premier livre francophone sur la saga de Konami, qui avait remporté son petit succès. Nous souhaitions continuer sur notre lancée avec un second ouvrage conçu dans la foulée. Nous avons donc eu l’idée de lancer une collection qui s’axerait sur une année spécifique dans le domaine du jeu vidéo. Le cahier des charges était simple : un livret d’une centaine de pages, rapide et facile à produire, afin de susciter la nostalgie. Seulement, quand on place deux maniaques à la tête d’un tel projet, on finit par totalement digresser par rapport à l’idée de base et, au fil des « idées géniales » et des ajouts successifs, le projet initial s’est transformé en pavé de quasiment 800 pages !
Tanuki : Et encore, il manque des choses dans ce pavé, puisque après la folle idée de produire un livret simple, quand nous en sommes venus à partir dans nos délires de livre super complet, nous voulions inclure les jouets, les flippers, et même quelques anecdotes historiques de-ci de-là.
Pourquoi l’année 1990 ?
Manu : Le choix de l’année s’est finalement imposé de lui même. Le but était de commencer ce qui devait être une série de livres, avec une année particulièrement marquante dans l’Histoire du jeu vidéo, tout en gardant la connotation rétrogaming. 1990 a été une année charnière, durant laquelle de nombreuses consoles ont été commercialisées sur différents territoires comme la Super Famicom, la Game Boy, la Neo Geo, la Mega Drive, et qui a marqué le passage de la génération 8 bits à l’ère 16 bits… Plus nous explorions cette année, plus nous réalisions également que les œuvres cultes pullulaient, que ce soit dans le jeu vidéo ou dans les autres domaines traités. Flashback ‘90 étant un ouvrage très personnel dans la sélection des œuvres que nous y évoquons, nous avons réalisé que beaucoup de choses qui avaient bercé notre enfance provenaient de cette même année. Je vais parler pour moi seul, mais avec le recul, il n’y a pas une autre année dont j’aurais plus eu envie de parler que celle qui marqua l’avènement de cette nouvelle décennie.
Quel est votre angle d’approche de l’année 90 ?
Manu : La majorité du contenu du livre concerne bien entendu le domaine du jeu vidéo, mais nous avons également souhaité aborder d’autres aspects de la pop culture en traitant de séries télévisées, dessins animés, films, et même en évoquant quelques événements marquants survenus dans le cours de cette année.
Tanuki : Pour aborder un aspect plus « technique », nous avons décidé de parler au passé dans le livre. C’est assez rare d’utiliser ce temps de façon systématique, mais pour le coup nous trouvions que ça servait le but initial : mélanger nostalgie, découverte et information pure. Notre approche était donc à la fois sentimentale, et « utile ».
La partie historique concernant les firmes et les hardwares correspondants est très détaillée : on imagine un travail de recherche titanesque, ceci explique-t-il en partie le nombre d’années qu’a pris la rédaction de l’ouvrage ?
Manu : En partie peut-être. Il est vrai qu’évoquer ces sujets demande un gros travail de documentation, heureusement facilité par les ressources offertes par Internet. Mais très franchement, je dirais que le temps consacré à ces parties ne représente pas le dixième du temps passé sur l’ouvrage. Le cœur du livre, et de fait la principale dépense en termes de temps, ce sont les jeux ! Quand on souhaite écrire un article sur un jeu vidéo, il faut tout d’abord le terminer afin d’être capable d’évoquer tous ses aspects et d’effectuer les captures d’écran à destination de la future maquette. Il faut ensuite rédiger l’article, et farfouiller afin de mettre la main sur différentes anecdotes. Dans Flashback ‘90, nous n’avons pas choisi la voie de la facilité en nous contentant de parler de jeux typés arcade relativement rapides à terminer, il y a aussi des RPG dans le lot ! Chaque jeu ayant droit au même espace dans le livre, cela veut dire qu’il fallait parfois passer plusieurs dizaines d’heures sur des titres comme par exemple Phantasy Star 2 et 3, tout cela pour produire seulement deux pages dans le livre final. Autant dire que le rapport temps passé/nombre de pages produites n’était pas vraiment exemplaire.
De plus, au fil du temps et des défections, chacun a dû partir dans le dépassement de fonction. Personnellement, je n’avais jamais touché à un jeu Amiga ou Commodore 64 de ma vie, mais les circonstances m’ont amené à m’occuper de la majeure partie de ces derniers. Cela supposait de se renseigner sur les supports afin de se familiariser avec les standards, notamment graphiques, pour ne pas raconter n’importe quoi. La composante technique a également été un cauchemar, car l’émulation qui a été largement utilisée pour réaliser les captures d’écran est très loin d’être une science exacte. Il m’a personnellement fallu parfois plusieurs jours pour parvenir à paramétrer correctement certains émulateurs. Bref, tout cela pour dire que le plus gros du capital temps, sans parler de nos nombreuses déconvenues, a été dépensé sur le traitement des jeux.
L’un des gros “plus” de cet ouvrage en deux volumes est qu’il regorge d’anecdotes intéressantes sur les divers jeux vidéo qu’il présente. Comment avez-vous découvert ces anecdotes ?
Manu : Patrice répondra pour lui, mais pour ma part je suis parti sur une méthodologie simple. Tout d’abord, en terminant le jeu, être attentif aux détails et prendre des notes sur tous les éléments insolites in game afin d’y revenir lors de la rédaction de la partie trivias de l’article. Ensuite, reparcourir les captures d’écran réalisées en grand nombre (il n’y a qu’une toute petite proportion de celles réalisées pour chaque jeu qui apparaissent finalement au sein du livre) afin de déceler d’autres choses atypiques. Enfin, éplucher scrupuleusement le manuel qui regorge souvent de détails croustillants. Forcément, certains jeux offrent plus facilement leur lot d’anecdotes que d’autres. Monkey Island, et plus généralement les jeux LucasArts, sont littéralement remplis de dizaines d’easter eggs ! Il n’est pas bien difficile pour ce genre de jeux d’offrir un large panel d’infos intéressantes au lecteur.
Tanuki : Ma méthode est équivalente, mais c’était sans doute plus facile pour moi que pour Manu, que nous féliciterons donc pour l’effort fourni ! En effet, j’ai toujours été assez enclin à relever les incohérences, des anecdotes ou des faits insolites dans les jeux ou les films. En fait, c’est une habitude à prendre et au bout d’un moment, par la force de l’expérience, on en arrive à repérer immédiatement certaines anecdotes potentielles. Pour oser une comparaison, à force de regarder les nuages pour y trouver des formes familières, vous finirez par voir tout autour de vous ces formes, dans les motifs de votre tapisserie, dans les craquelures des routes, etc.
Côté Gamers et Oldies Rising sont dédiés au jeu vidéo, pourquoi avoir ajouté des parties ciné / TV dans Flashback 90 ?
Manu : Comme je l’ai déjà mentionné, Flashback ‘90 est un ouvrage très personnel. Quand nous avons commencé à évoquer les jeux vidéo de cette année-là, nous nous sommes aperçus que ces derniers n’avaient pas été les seules choses qui nous avaient marqués en 1990. C’est donc tout logiquement que d’autres éléments issus de la pop culture se sont ajoutés à la liste de sujets à traiter. D’ailleurs, le cinéma et le jeu vidéo avaient à l’époque beaucoup en commun, ne serait-ce que par l’existence d’adaptations vidéoludiques de longs métrages. Si nous commencions à brièvement évoquer les films dont certains jeux étaient tirés, pourquoi ne pas prendre le taureau par les cornes et parler également des films sortis en 1990 ? Et si l’on parle cinéma, pourquoi délaisser le côté télévisuel ? Voilà comment, de fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés à nous écarter du monde du jeu vidéo quelques dizaines de pages durant…
Tanuki : Il faut dire aussi que dès le début, le terme même de Flashback renvoyait à toute notre jeunesse et pas uniquement au jeu vidéo, même si passionnés que nous sommes il devait obligatoirement occuper une place prépondérante.
Quid des albums musicaux sortis cette année-là ?
Manu : Nous en revenons toujours au côté personnel dans le choix des sujets traités. Pour ma part, je n’étais à l’époque pas du tout porté sur la musique, ce qui est toujours un peu le cas aujourd’hui. Je n’estimais pas ma culture musicale suffisante pour aborder ce sujet et surtout rédiger des articles sur quelque chose d’aussi particulier. Durant la rédaction de ce livre, j’ai réalisé qu’écrire une critique sur un film ou une série était par exemple très différent de faire la même chose pour un jeu vidéo. Pour la musique, nous partions réellement de trop loin pour produire quelque chose de suffisamment qualitatif. La solution aurait pu être de recruter quelqu’un qui se serait spécifiquement occupé de cette partie comme nous l’avons, par exemple, fait pour les jeux Amstrad CPC, mais les bonnes volontés étant difficiles à trouver dans le cadre d’un projet bénévole et le livre ayant accumulé suffisamment de retard, nous avons décidé d’oublier cette partie comme quelques autres éléments que nous aurions pourtant souhaité traiter…
Tanuki : Le Tanuki (il aime parler de lui à la troisième personne) est une calamité en termes de musique. Je n’y connais rien, et si on m’interroge par exemple sur les Beatles, je dirai « un groupe connu des années 60 », sans pouvoir en dire beaucoup plus. Mieux valait alors éviter d’aborder un sujet que nous maîtrisions aussi peu !
Durant les huit années de rédaction, quels ont été les épisodes douloureux et heureux ? Pouvez-vous nous faire part d’anecdotes personnelles lors de la création du livre ?
Manu : Hem, pour le moment, la colonne « épisodes douloureux » va être beaucoup plus garnie que celle des moments heureux ! Pêle-mêle, on pourra citer un dégât électrique chez Patrice qui lui a fait perdre la quasi intégralité des données du livre, des désistements en pagaille de personnes peu fiables participant au projet qui ont augmenté d’autant la quantité de travail pour ceux qui restaient, et même une pandémie mondiale qui nous a obligés à repousser une toute dernière fois la date de sortie ! Autant dire que nous commencions à nous demander si le projet n’était pas maudit ! Le bon côté, c’est que cela nous a permis de rédiger un making of très conséquent que nous avons inclus dans l’ouvrage, et qui relate toutes les péripéties survenues lors de sa conception.
Mais il y a également eu du positif, à commencer par quelques rares personnes qui nous ont diablement aidés, que ce soit pour le dessin de la couverture ou la rédaction de certains articles. Voir en 2020 des gens capables, par simple passion, de réaliser un travail aussi soigné avec pour seul salaire un exemplaire gratuit du livre fait vraiment chaud au cœur et permet d’oublier, du moins en partie, les comportements nettement moins respectueux d’autres personnes. L’ouverture des précommandes après 8 ans de gestation a également suscité une vive émotion chez moi, tout comme ce sera le cas, je suppose, lorsque je tiendrai enfin le livre entre mes mains !
Pour l’anecdote, j’adore lire, et j’apprécie notamment beaucoup les livres traitant du jeu vidéo. Mais la conception de Flashback ‘90 a été si éprouvante que je n’ai pas ouvert un livre traitant du monde vidéoludique depuis des années, la chose me rappelant à chaque fois le marasme dans lequel nous nous trouvions embourbés avec Patrice ! J’espère bientôt reprendre mes bonnes habitudes lorsque l’épisode sera enfin définitivement bouclé, si le traumatisme ne s’avère pas irréversible…
Tanuki : Je confirme que les incidents furent nombreux ! Mon incendie électrique aura été le premier il me semble. Non seulement il a mis HS mes disques durs à l’époque, détruisant mes données relatives à Flashback ‘90, mais m’obligeant aussi à réécrire en 2 mois les deux premiers livres de Côté Gamers. 800 pages en 2 mois, avec obligation de refaire les captures d’écran, la maquette, la correction etc. Je vous laisse imaginer le stress ! Dans ces conditions, il a été très difficile de reprendre Flashback ‘90, et le temps n’étant pas extensible, les moments de découragement chez Oldies Rising furent récurrents…
Merci !
Propos recueillis le 12 juillet 2020.
Flashback’90 est disponible au prix de 50€ sur le site de l’éditeur Côté Gamers.
Merci pour cet article 😉
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