Chronique : Mibu Gishi Den, tome 1

Takumi Nagayasu est un monstre du manga malheureusement trop méconnu en France. Né en 1949, cet artiste s’est construit en s’inspirant de l’un des meilleurs (en toute objectivité !) du genre : Testuya Chiba, auteur de l’excellentissime Ashita no Joe. C’est en suivant ses traces et en s’imposant une incroyable rigueur, qu’il a réussi à se faire un nom et à recevoir plusieurs distinctions pour ses mangas. Ce dessinateur de génie, ne voulant s’entourer d’aucun assistant et faire tout lui même, n’a pas sorti pléthore d’œuvres, privilégiant toujours la qualité à la quantité. Grâce aux éditions Mangetsu – que l’on remercie au passage d’amener jusqu’à nous des pépites telles que celle-là – nous avons eu l’honneur de tenir entre nos mains son dernier ouvrage, Mibu Gishi Den, tiré du roman éponyme de Jiro Asada. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est tombé immédiatement sous son charme…

L’histoire de Mibu Gishi Den commence le 31 janvier 1868, la nuit, par un temps glacial. Un rônin ensanglanté se traîne avec difficulté dans la neige. Il pense à sa femme et ses enfants laissés visiblement derrière lui. Une grande tristesse inonde son regard. Guidé par un instinct de survie incroyable, il continue sa route jusqu’à rencontrer enfin d’autres êtres humains. Malheureusement, ceux-ci se montrent hostiles et méfiants dès le départ ; et quand ils comprennent que celui qui se tient en face d’eux n’est autre que Kan’ichirô Yoshimura, un ancien samouraï qui a trahi leur seigneur et déserté leur terre pour rejoindre les rangs du Shinsen Gumi, leur attitude ne fait que se durcir davantage. Le seul choix qu’ils laissent alors à notre héros est de mourir avec honneur en se faisant seppuku. Mais comment se suicider ?

Tout grand samouraï qu’il est, Yoshimura n’a jamais appris à s’ouvrir le ventre. Et quel est l’interêt d’avoir battu tant d’adversaires, d’avoir réussi à se hisser à un tel niveau de maîtrise du sabre, si c’est pour finir comme ça, trucidé par sa propre main ? Après avoir tant brillé sur les champs de bataille, n’a-t-il pas le droit d’aller trouver le repos auprès de sa famille ? Et puis pourquoi lui reproche-t-on d’avoir privilégié son bonheur personnel à une loyauté aveugle ? Quitter les siens dans l’espoir de gagner plus d’argent ailleurs est-il un si grand crime ? A travers les nombreux questionnements de son héros, Nagayasu remet en cause la vie des samouraïs de l’époque et la traditionnelle pratique du seppuku qui aurait tué plus de combattants que les guerres elles-mêmes. 

L’histoire de ce samouraï, loin d’être parfait, prend aux tripes. Les dessins de Nagayasu sont si efficaces que nous vivons les événements comme si nous y étions. Le froid nous transperce, l’émotion nous prend à la gorge, l’espoir nous fait battre le coeur. La narration, alliant flash-back illustrant le passé de Yoshimura et projections dans un Tokyo du début du XXe siècle avec un personnage mystérieux enquêtant sur cet illustre samouraï, est originale et permet au titre d’installer des ambiances différentes, le tout à un rythme soutenu. Les personnages sont pleins de charisme et, comme le dit si bien Testuya Chiba cité à la fin du manga, leurs regards reflètent à la perfection leurs âmes. Apprendre à connaître un peu plus chacun d’eux au fil des pages est un vrai plaisir. Franchement, après avoir refermé ce premier tome lu d’une traite, j’avais envie de le recommencer au début pour rester dans cet univers si poignant. C’est incontestable, Mibu Gishi Den est pour moi le meilleur manga que j’ai lu en ce début d’année. 

Mibu Gishi Den est disponible aux éditions Mangetsu depuis le 1er février 2023 au prix conseillé de 8,95€.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s