Chronique : Soïchi

            Quel bonheur de retrouver régulièrement dans nos librairies des œuvres du maître de l’horreur : Junji Ito. Depuis un peu plus d’un an maintenant, les éditions Mangetsu nous ont permis d’avoir accès bien plus facilement à ces mangas emprunts d’horreur et de fantastique à la Lovecraft, l’une des sources d’inspiration revendiquée clairement par l’auteur. A l’instar de Gou Tanabe (connu pour ses adaptations des nouvelles de Lovecraft), Junji Ito a su conquérir très rapidement un lectorat français avide de seinens horrifiques. Le mangaka a d’ailleurs tellement la côte en ce moment, qu’il sera l’invité exceptionnel de la 50e édition du festival international de la bd d’Angoulême où une exposition mettra à l’honneur son œuvre. Si vous vous intéressez aux mangas, vous ne pouvez clairement plus passer à côté de ce phénomène ! Et s’il vous fallait une porte d’entrée vers cet univers aussi sombre que captivant, Soïchi semble être fait pour vous !

            Ce manga proposé par Mangetsu, est une compilation de toutes les histoires de Junji Ito mettant en scène un jeune garçon étrange, asocial et turbulent du nom de Soïchi. Ce volume assez imposant mais facile à prendre en main et très agréable à parcourir (bien qu’on aurait apprécié un ruban pour marquer notre page), regroupe ces différents écrits de façon chronologique, en fonction des dates de parution. Si chaque histoire peut se lire et se comprendre indépendamment des autres, chacune s’inscrit tout de même dans une temporalité marquée avec des personnages qui évoluent quelque peu ou disparaissent. Il est ainsi intéressant de lire l’ouvrage dans l’ordre, comme une histoire continue.

            Soïchi c’est donc l’histoire, au singulier, d’un jeune garnement dont le divertissement principal est d’embêter les autres jeunes de son âge, en particulier son frère, sa sœur et ses deux cousins qui viennent souvent passer leurs vacances chez eux. Pour cela, il s’amuse à prononcer des incantations, lancer des sorts ou encore pratiquer des séances de vaudou, à leur encontre. Vous comprenez alors les dérives horrifiques du manga qui vont prendre de plus en plus d’ampleur. Celles-ci sont d’ailleurs amplifiées par un dessin laissant transparaître aussi bien l’effroi que l’inquiétude chez les personnages évoluant dans un cadre tantôt réaliste et rassurant et tantôt mystérieux et inquiétant  Si au départ, nous pouvons penser que les drames qui arrivent ne sont liés qu’à des mauvais coups du sort, le doute s’estompe petit à petit et il devient difficile de les dissocier des mauvais coups du cruel petit garçon. Le lecteur, comme les personnages, hésitent de moins en moins. Soïchi semble véritablement être en connivence avec des esprits maléfiques qui l’aident à faire ses coups bas. Malheureusement, pour les lecteurs friands d’un fantastique à la Lovecraft où l’hésitation persiste jusqu’à la toute fin, ici l’hypothèse surnaturelle pouvant expliquer les événements étranges se déroulant, a tendance à écraser de plus en plus l’hypothèse réaliste, jusqu’à, pour les dernières histoires, effacer complètement le doute. Junji Ito préfère finalement sombrer complètement dans l’horreur en s’éloignant du fantastique, au sens où l’entendait Todorov : « Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel ».

            Si l’horreur est au centre du manga, notons tout de même que le gore en est (presque) absent. Il faut dire que Soïchi reste un enfant, flippant certes, mais un gamin tout de même ! Ses malédictions sont limitées à ce qu’il est capable d’imaginer. De plus, notons qu’il évolue dans une famille aimante qui fait preuve d’une grande tolérance envers ses dérives et qu’à aucun moment, il ne subit de violences. Il n’est même jamais puni pour ce qu’il fait et on le laisse, en outre, se balader librement avec des clous dans la bouche qu’il se plaît à cracher sur ceux qu’il n’apprécie pas. Cependant, nous ne sommes pas non plus en présence d’un vilain petit canard évoluant dans une famille parfaite. Junji Ito choisit en effet sciemment de ne presque jamais nous montrer les adultes évoluant autour de Soïchi comme pour suggérer leur manque d’implication dans l’éducation de cet enfant, leur insouciance, voire leur abandon. Il n’y a que le frère, la sœur et les cousins de Soïchi, à peine plus vieux que lui, qui essayent de le réprimander et de le remettre dans le droit chemin. Cela peut par ailleurs expliquer la forte opposition que le jeune garçon manifeste à leur égard. Ces relations conflictuelles restent pour lui le dernier rempart avant une solitude complète.

            La lecture de cette œuvre a donc été un réel bonheur. Soïchi est un manga qui se déguste histoire après histoire, dont la profondeur n’a de cesse de grandir. Au-delà d’un simple manga d’horreur, Junji Ito nous conte les aventures d’un jeune garçon en retrait, qui ne trouve pas sa place chez lui, comme à l’école, et se réfugie dans des pratiques occultes pour combler son manque d’affection et sa solitude grandissante. Pour qu’on le remarque, il ne sait faire autrement qu’interagir violemment avec ses pairs et ces derniers ne manquent pas, de leur côté, de l’ignorer complètement dès qu’il se fait discret. Même la cousine, personnage qui essaye le plus d’aller vers Soïchi et de le comprendre, finit petit à petit par abandonner pour le laisser encore plus seul et incompris que jamais. Junji Ito parvient ainsi brillamment à nous faire ressentir pour son héros, l’empathie dont sont dénués ses proches. Sans cautionner ses actes, nous ne les condamnons pas ; et ce tour de force tient du génie !

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