Si le jeu vidéo se veut parfois art total, réunissant la plupart des médiums en une symbiose attenant au moins à trois des sens humains, il est indéniable qu’il parvient nécessairement et dans une très large mesure à faire intervenir l’ouïe. Accompagné de son presque depuis ses débuts, puis de musiques accompagnant l’action ou la contemplation, le médium jeu vidéo entretient avec les mélomanes une relation plus qu’étroite. Quand sons et musiques prennent part au gameplay, à la perspective ludique en action, on parle de jeu musical ou de jeu de rythme, dont quelques éléments d’histoire sont exposés dans les lignes qui vont suivre.
Bien-fondé du jeu musical : pourquoi l’harmonie fonctionne ?
La musique, ancrée dans les moeurs humaines depuis la nuit des temps, s’adapte parfaitement au concept de jeu en général, et au vidéoludisme en particulier, et ce depuis l’avènement des premiers jeux électroniques. Les activités musicales, qu’elles soient de l’ordre de la conception ou qu’elles satisfassent simplement les mélomanes sont vieilles comme le monde. Les activités ludiques, elles, parsèment la vie du plus jeune âge à la maison de retraite, des jouets Playskool aux parties de dominos…
L’apparition des jeux de type musical n’a donc rien d’étonnant et la sauce harmonique prend bien de manière générale. Que le jeu tourne exclusivement autour d’un tempo où il convient d’appuyer sur des touches en rythme avec ou sans accessoire (Donkey Konga, Parappa The Rapper) ou s’éloigne de ce concept en usant différemment du gameplay musical (shooter de type Rez ou Otocky), ou relève enfin de mouvements du corps entier (Dance Central, Just Dance), il fait nécessairement vibrer la corde musicale enfouie en chacun de nous.
Indispensables du genre des années 70 à 90
Quand bien même certains game designers assimilent Simon à un jeu de mémorisation plus qu’à un jeu de rythme, le jeu de société électronique de Ralph Baer incarnait les bases du genre : appuyer sur une touche de couleur déclenchant un son afin de reproduire une séquence mélodique. Publié par MB en 1978, il est vraiment le précurseur du gameplay en pattern de la plupart des jeux de rythme auxquels nous sommes habitués.
Dans les années 80 se succéderont de multiples softs à univers musicaux venant principalement des Etats-Unis : Journey en 83 – un mauvais jeu à licence, Break Dance en 84 (publié par Epyx), sorte d’ancêtre de Def Jam Fight For New-York en ce sens où il met en scène la culture hip-hop… En 84 est publié le premier outil de création de morceaux musicaux (Will Harvey’s Music Construction Set) par Electronic Arts.
Il faut vraiment se tourner vers le Japon à cette époque si l’on souhaite s’adonner au jeu de rythme à proprement parler, avec Dance Aerobics de Nintendo en 1989, qui employait le tapis NES (le fameux « Power Pad ») afin de reproduire certains mouvements proposés à l’écran en appuyant sur le bon bouton au bon moment. Un ancêtre de Dance Central sous le signe de Véronique et Davina. Les années 90 sont d’ailleurs férocement marquées de l’empreinte nippone en termes de concepts innovants.
Mario Paint en 1992, par exemple, sur Super NES proposait un générateur de musiques, encore populaire aujourd’hui chez les artistes chiptune. Mais la véritable révolution viendra d’un musicien japonais, Masaya Matsuura, ancien leader d’un groupe de rock progressif formé en 1983. En développant le jeu PaRappa The Rapper, il inventera carrément un nouveau genre, qui deviendra extrêmement populaire au pays du Soleil-Levant (il s’est écoulé à plus de 700 000 exemplaires rien que sur l’Archipel, un record à l’époque sur PlayStation).
Un chien adepte de hip-hop ainsi qu’une cohorte d’animaux en tous genre rappent en anglais (quelle que soit la version) ; le joueur doit appuyer sur les touches apparaissant à l’écran au bon moment et en suivant le bon tempo dans le but d’obtenir le meilleur score possible en fin de niveau. Simple et ultra efficace, la recette a fait école dans l’industrie, et est employée encore aujourd’hui avec quelques variations. Masaya Matsuura, bien qu’un peu aigri depuis que Majesco aura empêché son come-back sur Wii en 2012, avait techniquement apporté sa pierre à l’édifice du jeu vidéo en employant la motion capture pour la première fois sur PS ONE. Pour l’anecdote, Ryu Watabe, l’une des voix du casting animalier invitait chez lui après ses passages sur CNN des demoiselles et leur traduisait la télévision japonaise en temps réel, ce qui contribuera à la qualité de ses doublages sur le jeu.
Avènement des jeux à accessoires : de Bemani à Rockband
C’est encore une fois vers le Japon qu’il faut se tourner pour observer le fort développement des jeux de rythme usant d’accessoires : à commencer par Beatmania de Konami (1997), qui proposera un gameplay basé sur une platine de DJ (dotée de 5 boutons), et qui aura un succès tel que la division Game & Music de Konami prendra le nom « Bemani », relatif aux jeux incorporant des instruments en plastique dans leur gameplay. En 98 et 99 sont publiés GuitarFreaks, Pop’N Music, Dance Dance Revolution ainsi que Drummania. Le premier offrait la possibilité de jouer à l’aide d’une guitare en plastique (assez lourde à l’époque) dont le concept sera repris par Harmonix pour Guitar Hero, le second offrira un gameplay basé sur les réflexes et l’appui sur de multiples boutons au bon moment ; le troisième inspirera carrément une révolution culturelle et est un pionnier de l’active gaming, bien avant Just Dance, pour ne citer que celui-ci. L’une des itérations de la borne apparaît dans le finale du clip « Hung Up » de Madonna en 2004. Le dernier, simulation de batterie, inspirera bien sûr les accessoires pour Rock Band.
Taiko Drum Master, excellent jeu de rythme, où il convient de taper sur des tambours traditionnels japonais à l’aide de baguettes est un énorme succès en arcade comme sur consoles de salon, tant et si bien que Namco publiera une adaptation pour Gamecube mettant en scène Donkey Kong et consorts : Donkey Konga naissait en 2004.
La franchise musicale qui ira jusqu’à faire les gros titres de l’International Business Times tant elle défraiera la chronique de par ses chiffres de vente faramineux est Guitar Hero. D’abord développée par Harmonix, puis par Neversoft, elle connaîtra de multiples itérations sans réellement se renouveler, jusqu’à ce que les studios fondateurs développent Rock Band qui permettait carrément de jouer les groupes de rock dans son salon à l’aide de divers instruments en plastique. S’ensuivra une longue guerre entre les deux IP, via licences contractées auprès de divers groupes de rock, jusqu’à essoufflement du concept…
De Otocky à Child of Eden : les jeux conceptuels à l’honneur
De concept, parlons-en dans ce paragraphe : l’industrie du jeu ne faisant pas toujours rimer succès commercial avec originalité, à quelques exceptions près. Certains concepts originaux font en effet parfois école et sont réitérés jusqu’à plus-soif.
Au panthéon des créatifs axant leur production sur l’originalité, on pourrait placer Tetsuya Mizuguchi, Toshio Iwai ainsi que Masaya Matsuura. Toshio Iwai aura préfiguré le travail de Mizuguchi sur Rez et Child of Eden (des rail-shooters musicaux, où chaque action correspond à une note de musique) en participant à la création de Otocky sur Famicom Disk System en 1987, un shoot’em up où la direction de chacun des tirs produisait une note différente.
Du même auteur, Electroplankton laissait le joueur expérimenter son et musique sur Nintendo DS au travers de planctons produisant des notes. Dans Vib Ribbon de Masaya Matsuura, réel ovni, il s’agissait d’éviter des éléments de décor générés par les notes du CD que l’on introduisait dans la PlayStation. Son esthétique fil de fer fera date.
Au-delà des rail-shooters Rez et Child of Eden, que l’on ne présente plus, Tetsuya Mizuguchi aura su renouveler le genre puzzle game en produisant Lumines, où les environnements sonores générés par le gameplay et le style du joueur avaient une importance d’ordre esthétique, sorte de symbiose entre Tetris et Rez. Marquant de par ses qualités en terme de game design, le titre de Q Entertainment a vraiment marqué les esprits (presque autant que Rez) et a été porté sur la majorité des supports depuis la PSP.
Il est bien sûr impossible de relever l’intégralité des jeux de type rythme dans cet article, mais cette liste non exhaustive retrace les grandes lignes de l’évolution du genre, en passant par les titres les plus marquant de par leur originalité. La réalité virtuelle saura sans doute renouveler ce style (consultez ce sujet), en cruelle perte de vitesse depuis l’essoufflement des jeux à accessoire ces dernières années…
(sources « Music Games Rock » de Scott Steinberg et « VGM » de Damien Mecheri)
Une réflexion sur “PETITE HISTOIRE DU JEU MUSICAL”